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meredith
Je sors ce matin. Il neige mollement, pourtant le ciel est très lumineux. Le vent pousse les flocons devant lui et joue avec eux. J’ai eu cette nuit une idée qui m’enchante. Je progresse facilement avec ma paire de raquettes toutes neuves exhumées du grenier dans le magasin de sport. L’air est vif. Je sifflote un air dont j’ai oublié le nom. J’arrive à mon but : la boutique de l’opticien. Je n’abîme pas sa vitrine dont un bon tiers est caché sous la neige. Je passe par derrière, je force une porte, j’entre. L’air n’a pas d’odeur.
Le magasin est glacial, aucune poussière sur le comptoir. Je trouve rapidement ce que je convoite. Je choisis le plus gros et je rentre. Il ne neige plus. Un vague soleil jaune pâle perce, morne quinquet ; la nuit il arrive que la lune fessue soit plus amicale.
Chez moi je m’installe. J’ai mis le microscope tout neuf devant la fenêtre. Il sent bon le plastique tout neuf et solide comme savent l’être ceux qui composent les ustensiles de précision, et de prix. Une odeur imprègne alors ma mémoire : celui de la 4 chevaux. Cette voiture avait un parfum rare et pourtant familier de bakélite, de feutrine et de colle, je m’en souviens avec délice. La traction Citroën aussi avait son odeur, mais d’une suavité plus mécanique. La 4 cv fleurait les vacances, la traction sentait le travail. Après les autos n’ont plus jamais eu d’odeur, je veux dire leur propre odeur. Mon esprit vagabonde sur les antiques nationales ombragées, je penche la tête au dehors et gobe un vent chaud ; je quitte la route, je survole la tignasse ondulée des sous-bois qui débordent en cascades généreuses sur de grasses pâtures bocagères plantées de peupliers trop sérieux alignés en escorte sur les berges de ruisseaux indisciplinés, où le soleil se noie dans les flots bruns propices à la chasse du brochet à l’affût ; je file, j’amorce un ample virage sur l’aile en planant au-dessus des canyons rouges où les ombres tombent rudement des falaises piquées de buissons secs, tondus, âpres et doués pour la survie, l’obscurité inquiétante plonge jusque dans un creux mouillé où miroite une coulée verte émeraude d’un froid de glacier en débâcle, d’un coup d’aile je prends de l’altitude et je glisse par-dessus le tweed grisé du Causse alourdi d’énormes blocs de rochers incapables de nourrir leur mince pellicule de lichen pelucheux, des bosquets inhospitaliers de genévriers craquants hébergent des couvées de mésange à l’étage et des nichées de musaraignes dans ses racines, je le sais ; je suis maintenant au-dessus de la mer qui frémit dans une brume d’été, au loin une île flotte où j’irai bientôt reprendre mon souffle et détruire, de mes griffes et de mes pattes calleuses, le tunnel où se cache le serpent.
Je sors de ma torpeur, elle prend une place sans cesse plus grande ces temps-ci.
J'ai des sentiments de rapace.
Le microscope m’attend de sa patience d’objet, je la connais, il m‘arrive de la partager.
(La suite demain)