Allez sur http://sapristi-balthazar.blogspot.fr/
Lorsque le souffle a été bien tourné et retourné dans le sac, lorsqu’il s’est imprégné d’humeurs et de crachats, il file vers le “chalumeau ” à l’extrémité duquel une anche a été fichée. Une anche double (souvent), savant assemblage de deux élytres de roseau grattés à transparence, ligotés sur un petit cône de cuivre. Tout le grand mystère de la cornemuse se concentre là, dans l’espace réduit et à peine contrôlable des deux lèvres de l’anche qui vont frémir au passage de l’air. Dans cette vibration, des harmoniques somptueuses seront fécondées. Elles dévaleront le long du “chalumeau” de buis pour prendre leur élan et faire marcher les armées, danser les amoureux, pleurer les bergers. C’est fou ce qu’on peut faire avec une cornemuse. Mais la mécanique serait bancale sans le bourdon. Greffée sur la poche, ce long tube est équipé lui aussi de son anche. Une anche simple, une lame vibre sur un minuscule canal en bambou, et produit un ronflement permanent, lancinant, extatique. Le subtil jeu des pressions sait partager équitablement la réserve d’air entre ces sorties. C’est tout un art à maîtriser.
La cornemuse est celte, comme le tam-tam est africain. Sur les routes de leurs conquêtes, les Celtes aux yeux bleus et à la nuque raide ont abandonné des cornemuses qui, ensuite, se sont accommodées à la mode du temps et à la singularité des géographies. Dans le Morvan elles sont longues, graves et guerrières. Dans le Périgord elles sont fines, moelleuses et parfois même accordées (le croiriez-vous ?) en si bémol ! En Bretagne elles hurlent pour damer le pion au vent.
Souffler la-dedans n’est pas sans conséquence, car confusément on sait lever des maléfices, ou pour le moins pénétrer dans de larges zones impies. Sur les cathédrales, le diable joue de la cornemuse et les anges du psaltérion. Aux Celtes des premiers âges sont la magie et les interdits mystérieux : Merlin, l’ancien monde, les unions minérales, des peurs brutales mais aussi d’autres jouissances sans conséquence.
Il est étrange que la jeunesse d’aujourd’hui pose ses lèvres sur les cornemuses précisément au moment où se vident les églises.
Petite histoire :
Une petite cornemuse de buis ondé, cerclée de ses bagues d’étain, incrustée de ses ronds miroirs faisait danser hardiment les filles jolies de ferme et les bouviers vigoureux. A la fin du bal, dans les granges son souffle au loin, devenu mélancolique, accompagnait délicieusement le rythme des soupirs, les brefs gémissements d’aise et les balbutiements “en langue”.
Gustave Caillebotte
Au matin survinrent l’épuisement et l’écrasement de la réalité, le doute aussi. Sur la table poisseuse la cornemuse était inerte comme un petit animal mort d’asphyxie. Le petit ange s’était métamorphosé en une dépouille. Petit cadavre que, par habitude, on jetait sur le fumier à la convoitise insatiable des volailles aux aguets. Aux temps d’avant les amants se levaient plus heureux, n’est-ce pas ?
B.F